Purgatoire dangereux pour les réfugiés, Calais doit retrouver sa tranquillité.

En roulant dans les zones commerciales, industrielles et portuaires de Calais, en parcourant autoroutes et rocades à proximité de celles-ci, deux éléments récurrents inondent le paysage : les grilles et grillages métalliques et leur compagnon naturel : le barbelé rasoir qui les couronnent.

“La persistance d’un objet aussi peu élaboré peut surprendre. Dans un siècle de progression technologique fulgurante, alors que les produits dépassés encombrent les casses de la modernité, il reste assez efficace pour accomplir ce qu’on lui demande : délimiter l’espace, tracer sur le sol les lignes d’un partage actif. Dans ce rôle, il excelle. Sa légèreté a permis de couvrir des distances extraordinaires, sa souplesse de répondre à tous les besoins : protéger, fortifier, enfermer…”.

Olivier RAZAC, Philosophie du fil de fer barbelé, Le Monde diplomatique, Août 2013

Une deuxième paire d’éléments s’invite dans le décor : des réfugiés pour la plupart issus de l’Afrique subsaharienne, du Proche et Moyen-Orient qui errent ou attendent au bord des routes et des fourgons des compagnies républicaines de sécurité, dont certains sont banalisés. Ils sont garés à proximité des lieux où les réfugiés sont théoriquement accueillis et accompagnés par une association appuyée par l’État.

Calais, symbole des tensions liées aux flux migratoires, symbole des campements illicites, symbole de coopération franco-britannique en matière migratoire. Sémiologie réductrice qui masque elle-même une réalité brutale fondée sur des choix nationaux et internationaux.

 

L’Angleterre sous-traite sa politique migratoire à la France

Les témoignages sont sans appel : les réfugiés présents veulent passer en Angleterre. Sans revenir sur les aléas houleux de la politique migratoire européenne, attardons-nous sur les accords passés avec le Royaume-Uni et leur actualisation récente suite à l’entrevue May-Macron. 113 millions d’euros ont été dépensés par le Royaume-Uni ces trois dernières années dans la sécurisation de la frontière à Calais. Le coût pour la France est difficilement évaluable étant donné la difficulté à mesurer, en plus des surcoûts financiers, le coût réel des moyens humains mobilisés en plus de l’argent dépensé pour faire face aux problèmes. L’impact économique pour les acteurs économiques locaux est lui aussi difficilement évaluable.

Selon l’avis présenté au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de  loi de finances pour 2018 (n° 235) :

Au total, entre 2015 et 2016, l’Etat a dépensé, pour assurer la gestion du camp, directement ou indirectement par le biais d’aides aux associations, la somme de 38,68 millions d’euros, auxquels il faut ajouter 4,78 millions d’euros en 2017 pour le plan de sauvegarde de l’emploi de l’association « La Vie Active » (…).

3,5 unités de force mobile étaient en moyenne engagées quotidiennement, 8,18 en 2016 et 2,47 à la rentrée 2017. En ce qui concerne la gendarmerie mobile, 12 escadrons furent engagés au maximum sur la période, pour une présence moyenne de 5 à 6 escadrons. Il en reste actuellement 2,5 déployés dans le Calaisis. Au total, on peut estimer la totalité des surcoûts engendrés par ces déploiements à environ 60 millions d’euros (frais de logement, d’alimentation, etc, hors salaires) depuis le pic de la crise migratoire, en 2015 (…).

Ainsi, la zone dite de la Turquerie, située entre Calais et Marck, a pris 5 années de retard, engendrant un déficit de zone de 6,5 millions d’euros à la charge de l’Agglomération Grand Calais Terres & Mers et une non création d’une centaine d’emplois. Cet exemple, bien que symbolique, ne saurait résumer seul l’ensemble de l’impact migratoire sur des pans entiers de l’économie du Calaisis, impact économique très difficilement chiffrable (…).

Pour les collectivités locales, le coût n’est bien évidemment pas neutre non plus. Ainsi, depuis 2008, la mairie de Calais a directement dépensé plus de 3,5 millions d’euros, non compensés par l’Etat, sur cette thématique migratoire (…)”.

Plus que la sous-traitance par la France de la politique migratoire britannique et la hauteur de la compensation, c’est la débauche d’argent public et les impacts socio-économiques de la politique sécuritaire suivie qui posent problème. Malgré les 50 millions d’euros supplémentaires débloqués par les britanniques, la situation sur place restera tributaire des flux migratoires.

Des violences contre les migrants.

Les gendarmes sont des intellectuels. Le problème, ce sont les CRS.

Un réfugié érythréen

À l’accueil de jour du secours catholique, des réfugiés passent le temps entre deux tentatives de passage en Angleterre. Le voyage en a éprouvé plus d’un. La faim, le stress, le manque de sommeil accompagnent le périple.

On joue, on regarde un film, on participe à des ateliers. Sirotant un café en jouant aux échecs, voilà un réfugié apatride qui raconte : Je suis afghan mais j’ai vécu toute ma vie à Téhéran. De religion juive, il dit avoir, avec sa famille, été victime de discriminations. Je veux rejoindre l’Angleterre. J’ai été à Paris. Nous ne sommes pas les bienvenus. Les réfugiés afghans dorment sous les ponts et la France ne fait rien pour nous”.

Tous les migrants et bénévoles présents sur place rapportent des violences policières émanant des CRS. Ils nous réveillent la nuit et nous frappent avec leur matraques. Ils volent nos tentes. Ils nous gasent et nous tapent pendant que nous marchons au bord de la route. 

Surtout dans les jambes et les bras. Trois érythréennes rencontrées à l’accueil de jour nous racontent avoir été victimes de gazages inopinés.

Bien sûr, il s’agit de comportements répréhensibles, ponctuels et individuels. Parfois l’inverse se produit. Un militant de l’auberge des migrants témoigne : Je suis parfois en contact avec eux. Lors d’un démontage de camps, une équipe de CRS a trouvé une femme seule en larmes dans sa tente. Ils nous ont appelé pour savoir ce qu’il convenait de faire. (…) C’est l’association Gynécologies sans frontières qui a pris en charge cette femme. Le CRS qui nous avait appelé a rappelé ensuite pour prendre des nouvelles.

Malgré cette anecdote, un climat de violence chronique règne dans la zone industrielle de Calais. L’usage de la force lorsque les policiers ou gendarmes extirpent les exilés des camions n’étonnent pas ces derniers. Ce sont les cas où ces derniers se font gazer ou frapper sans raison apparente qui révoltent les associatifs et les réfugiés. La politique menée conduit le gouvernement à confier aux policiers des besognes peu valorisantes, très loin de la lutte contre la criminalité, sans que l’on puisse entrevoir une fin à ce jeu de poursuite.

 

L’État et les pouvoirs publics en lutte contre les associatifs accusés de favoriser les appels d’air”.

“Nous ne voulons pas de centre ici car à chaque fois qu’on a construit un centre, il y a eu un appel d’air”.

Gérard Collomb, Ministre de l’intérieur, le 23 juin 2018 à Calais

Les bénévoles du secours catholique ont éprouvé les plus grandes difficultés pour obtenir l’autorisation d’installer des douches mobiles temporaires au sein de leurs locaux. Une fois l’installation réalisée, la mairie de Calais a installé une benne devant l’entrée de leurs locaux pour y empêcher l’accès.

L’État et la mairie de Calais ont été attaqués au Tribunal administratif  par onze associations qui réclamaient l’installation de douches pour les centaines de migrants. Il a fallu attendre la condamnation de l’État et de la Mairie de Calais par le Tribunal administratif de Lille et le rejet des appels par le Conseil d’État pour que cela puisse se faire.

Pour les autorités, le moindre dispositif permettant aux migrants d’accéder à des services élémentaires et à une dignité toute relative est susceptible de créer un vortex capable d’attirer les migrants à des milliers de kilomètres à la ronde.

Comme si le simple fait d’installer des douches provoquait l’afflux de migrants” témoigne un bénévole.

L’inconstance de la politique suivie instille et installe la méfiance

La visite d’Emmanuel Macron au début de l’année laissait présager un mieux. Les services de l’État ne semblent pas être parvenus au dépassement dialectique de la contradiction entre fermeté et humanité. À Calais, on applique l’un puis l’autre, on souffle le chaud puis surtout le froid.

À compter du 6 mars, l’État, avec l’association La Vie Active reprenait à son compte la distribution de nourriture aux migrants. Humanité” quand il s’agit de cornériser les associations.

Le 23 Mars, l’État et la municipalité se sont livrés à la destruction des tentes alors qu’au même moment La Vie active, association qui gère la distribution pour le compte de l’État distribuait des repas sur un point à proximité.

La nouvelle occupation par des réfugiés d’un terrain appartenant à la communauté d’agglomération a débouché sur un dépôt de plainte par cette dernière. Les responsables de l’Auberge des migrants” se sont vus convoqués au commissariat. Ils n’occupent pas le terrain mais ils fournissent des tentes aux réfugiés qui l’occupent. Ils sont aussi l’objet d’une guerre aux PV. Mes essuie-glaces ont été jugés non-performants”. Alternance de périodes d’hostilité franche et de périodes de frileux réchauffement. La Jungle a été détruite mais ses occupants se sont dispersés sur le territoire de la commune. Des petites jungles se sont reconstituées ici et là où les migrants vivotent. Et l’État rejoue la scène de la destruction de la jungle régulièrement comme ce 19 avril sur le camp que j’ai pu visiter.

 

Cette action répressive n’a qu’un but : montrer que l’on organise la lutte contre l’immigration clandestine. Tant pis, si cela est inutile.

Un surprenant entrepôt.

Distribution de tentes, de vêtements, de nourriture, les aubergistes” inspirent davantage confiance. La taille des équipes et des équipements démontrent une professionnalisation et une internationalisation croissante des bénévoles qui animent les associations sur place.

Partout, dans l’entrepôt de l’association L’auberge des migrants, on s’affaire à la cuisine, au rangement des vêtements, des produits d’hygiène, d’outils. Une véritable base logistique pour le ravitaillement en produits de première nécessité. Les bénévoles viennent de toute l’Europe. Un travail de fourmi pour permettre assistance et aide aux réfugiés.

 

On estime à une quinzaine de personnes le nombre de passages réussis par nuit” estime Christian Salomé, président de l’association. Cela entretient l’espoir”C’est dangereux. Ils peuvent tomber et se blesser”. De fait, la police veille et intercepte. De toutes les solutions qui existent pour passer de l’autre côté, c’est la plus dangereuse”. Spéculation sur la direction que vont prendre les camions. Certains emprunteront le tunnel, d’autres se dirigeront vers l’intérieur. Dans ce cas, le migrant saute le plus vite possible du camion afin de ne pas s’éloigner du port. Certains ont tenté de passer par le site du tunnel. Solution toute aussi dangereuse. En 2015, il y a eu 6 morts sur le site.

Syriens, afghans, érythréens, soudanais, parfois membres de minorités ethniques persécutées dans leur pays, la demande d’asile en France ne les intéresse pas. 

La loi asile et Immigration changera-t-elle la situation calaisienne ?

Demandons-nous dès lors en quoi le nouvel arsenal législatif anti-migrants porté par Gérard Collomb va influer sur la situation calaisienne. L’allongement des délais de rétention, l’accélération des procédures par la réduction des délais de recours, la fin du caractère suspensif du recours devant le CNDA permettront-elles de mieux réguler l’immigration clandestine ? Les préfectures vont devoir rendre compte au gouvernement et être les acteurs d’une politique du chiffre conduisant à l’augmentation des expulsions au mépris des risques encourus pour les expulsés. L’État prend déjà contact avec les autorités consulaires de pays instables comme l’Erythrée et le Soudan et expulse…

 

Décourageant pour les migrants? Ceux de Calais n’ont plus rien à perdre. Sans compter que l’Italie n’a pas et n’aura pas la capacité de réaliser des dizaines de milliers d’expulsions de dublinés”. Ceux qui sont renvoyés en Italie ou en Grèce ont toutes les chances d’être relâchés dans la nature et de revenir.

Changer de paradigme

Pour le Calaisis, la solution réside dans la renégociation des accords avec le Royaume-Uni. Aujourd’hui, Paris sacrifie deux arrondissements, emploie des fonctionnaires de police pour faire la chasse aux réfugiés, s’occupe d’expulser pour le compte des britanniques.

Ces rapports bilatéraux sont semblables à ceux que la France entretient avec l’Italie et la Grèce sur cette question et à l’image des rapports entretenus entre l’Union européenne et la Libye. Il repose sur une propension à se décharger sur le voisin situé en amont. Cette logique empêche le développement de politiques nationales d’intégration et d’accompagnement car les rapports internationaux reposent sur la course à qui en fera le moins et au moindre coût. C’est d’autant plus structurel que les partis au pouvoir s’alignent ou tergiversent avec le discours nationaliste sur ce thème entretenant cette orientation.

Une réponse rationnelle et organisée ne peut passer que par une volonté internationale coordonnée. Il faut donc remettre à l’ordre du jour des moyens de discussion et d’échange à l’échelle mondiale dans le cadre de l’ONU. A l’échelle européenne, il faut sortir de la directive dite “Dublin” que l’on pourrait requalifier de directive “patate chaude”. Enfin au plan national nous devons mettre en œuvre les moyens d’accueil à la hauteur de nos ambitions historiques en termes de droit humains.

Toutes ces propositions ont été rassemblées dans un contre-projet de la France insoumise dont voici le lien : https://lafranceinsoumise.fr/2018/04/20/politique-migratoire-humaniste-solidaire-raisonnee/

 

 

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