QE – Insuffisances de la CJIP dans la lutte contre la délinquance financière

Question écriteN°  19899
M. Ugo BernalicisLa France insoumise – Nord
Ministère interrogéJustice
Question publiée au JO le28/05/2019
Réponse publiée au JO le
Lien hypertextehttp://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-12526QE.htm

Texte de la question

M. Ugo Bernalicis attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) instaurée au titre de l’article 41-1-2.-I de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 et élargie par le Gouvernement actuel par l’article 25 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. Ce dispositif donne au procureur de la République la possibilité de proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits prévus aux articles 433-1, 433-2, 435-3, 435-4, 435-9, 435-10, 445-1, 445-1-1, 445-2 et 445-2-1, à l’avant dernier alinéa de l’article 434-9 et au deuxième alinéa de l’article 434-9-1 du code pénal, pour les délits prévus aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et leur blanchiment, ainsi que pour des infractions connexes, de conclure une convention entraînant l’abandon des poursuites sans déclaration de culpabilité, contre le versement d’une amende ou la mise en place d’un programme de mise en conformité confié à l’Agence française anti-corruption. À la suite du rapport d’information n° 1822 déposé par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière, M. le député s’interroge sur la pertinence de l’existence d’un tel dispositif, au regard de l’objectif de lutte contre la délinquance financière. En sacrifiant l’aspect dissuasif de la sanction pénale (perte de réputation, inscription au casier judiciaire, interdiction de candidater à des marchés publics, etc) pour les crimes et délits à caractère économique, en donnant la possibilité aux justiciables les plus fortunés d’acheter leur innocence et en éliminant tous les stigmates associés à la condamnation, la CJIP contrevient à de nombreux égards au principe d’égalité devant la loi. Cette complaisance à l’égard de la délinquance financière peut apparaître d’autant plus injuste, lorsqu’on la compare à la sévérité qui caractérise la répression des infractions de faible enjeu financier, comme une erreur de déclaration dans le cadre d’une demande d’allocation sociale. Lorsqu’elle vise ce type de transgressions, émanant le plus souvent de citoyens en situation de précarité, l’administration met en avant la dimension morale de son action et privilégie la répression dans une perspective dissuasive, qui se traduit par une systématisation de la sanction. Lorsqu’il s’agit d’infractions beaucoup plus importantes, commises par des entreprises ou des contribuables fortunés, la lutte contre la fraude perd sa dimension morale et ouvre la voie de la négociation, largement profitable aux délinquants concernés, non seulement d’un point de vue pénal, mais également sur le plan financier. En effet, le montant de la contrepartie financière à l’abandon des poursuites est négociable, anticipable comme une gestion de risque et peut s’avérer largement inférieur à celui d’une amende résultant d’une condamnation. En témoigne la récente condamnation de la banque UBS à une amende de 3,7 milliards d’euros, d’un montant près de deux fois supérieur à celui proposé par le parquet lors de la négociation avortée d’une CJIP, à hauteur de 1,8 milliard d’euros. Bien que ce jugement ne soit pas définitif, il constitue à ce jour le seul élément de comparaison pertinent afin de mesurer l’écart entre l’efficacité respective des réponses apportées par la justice aux délits pour lesquels une CJIP peut être proposée. À l’inverse, la comparaison entre, d’une part l’ensemble des montants recouvrés au cours des dernières années grâce aux CJIP et d’autre part l’ensemble des montants recouvrés par voie pénale sur cette même période, ne saurait constituer un élément de réflexion pertinent. En effet, cette comparaison ne permet pas de raisonner toutes choses égales par ailleurs, puisque pour chaque CJIP prononcée, ce sont autant de procédures pénales qui n’ont pas eu lieu. Il convient également de considérer pleinement la variable temporelle. En l’état actuel des ressources dont dispose la justice, il s’agit du principal argument du Gouvernement en faveur de la CJIP puisqu’elle permettrait d’accélérer le traitement judiciaire. Pour M. le député, la durée du procès ne constituerait plus un obstacle à l’efficacité de la réponse pénale sur le plan financier, si la justice était effectivement en capacité de traiter l’ensemble des contentieux dont elle a connaissance. Au regard de ces éléments, il l’interroge sur les éléments d’évaluation qui ont conduit le Gouvernement à renforcer le dispositif de la CJIP. Ainsi, il souhaite connaître les éléments de comparaison entre le gain financier d’une CJIP et le montant issu d’une condamnation pénale par dossier équivalent, le coût en terme de ressources humaines engendré par le recrutement d’un nombre suffisant de magistrats en matière de lutte contre la délinquance financière (du siège et du parquet), le coût en termes de ressources humaines engendrées par le recrutement d’un nombre suffisant d’officiers de police ou de gendarmerie (tout au long de la procédure) et tout autre éléments d’évaluation à sa disposition ayant orienté le choix politique retenu.

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